Tuesday, June 10, 2014

Réponse de Truffault à Godard

J'ai relu récemment le fameux échange de lettres entre Jean-Luc Godard et François Truffaut juste après la sortie de La Nuit américaine en 1973.

L'immense succès commercial du film de Truffaut avait été couronné par un Oscar du meilleur film en langue étrangère. Jean-Luc Godard dont le cinéma se distançait de plus en plus de ses pairs, s'empressa d'écrire à celui qui avait pourtant été jusqu'ici son collègue mais aussi son frère de coeur.
« Probablement personne ne te traitera de menteur, aussi je le fais. Ce n’est pas plus une injure que fasciste, c’est une critique, et c’est l’absence de critique où nous laissent de tels films, le tien et ceux de Chabrol, Ferreri, Verneuil, Delannoy, Renoir, etc. dont je me plains. […]. J'en viens à un point plus matériel. J'ai besoin, pour tourner "Un simple film", de cinq ou dix millions de francs. Vu La Nuit américaine, tu devrais m’aider, que les spectateurs ne croient pas qu’on ne fait des films que comme toi. »
Truffault ne va pas se priver pour lui répondre. Dieu que j'aimerais avoir une jour ce talent pour exprimer ma rage et mon amour d'amitié déçu :
« Je te retourne ta lettre à Jean-Pierre. Je l’ai lue et je la trouve dégueulasse. C’est à cause d’elle que je sens le moment de te dire, longuement, que selon moi tu te conduis comme une merde. Je me contrefous de ce que tu penses de La Nuit américaine […]. A mon tour de te traiter de menteur. Au début de "Tout va bien", il y a cette phrase : “Pour faire un film, il faut des vedettes.” Mensonge. Tout le monde connaît ton insistance pour obtenir Jane Fonda qui se dérobait, alors que tes financiers te disaient de prendre n’importe qui. […] Tu l'as toujours eu, cet art de te faire passer pour une victime. […] Il te faut jouer un rôle et que ce rôle soit prestigieux. J’ai toujours eu l’impression que les vrais militants sont comme des femmes de ménage, travail ingrat, quotidien, nécessaire. Toi, c’est le côté Ursula Andress, quatre minutes d’apparition, le temps de laisser se déclencher les flashes, deux, trois phrases bien surprenantes et disparition, retour au mystère avantageux. Comportement de merde, de merde sur son socle… »

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